Tout a commencé sur le canapé de ma tante Rosy (elle n'a pas changé de canapé depuis, je dois dire que je trouve ça assez dégoutant), ma mère a une peur bleue de l'hôpital, elle lui avait dit qu'elle préférait mourir dignement plutôt que d'entrer dans ce bâtiment. J'ai appris par la suite qu'elle pensait qu'on tuait les noirs là-bas, je n'ai jamais compris son résonnement étant donné qu'on avait un hôpital différent des blancs, mais soit... Apparement, j'ai été bien chiante, je ne voulais pas sortir de là-dedans, faut dire qu'il y a moins de meurtes dans le ventre de ta mère, j'y serais bien restée, moi. Enfin, dans le ventre de ma mère, pas dans le ventre de la tienne.
J'ai grandi dans une famille nombreuse, trois frères et deux soeurs, je ne vous raconte même pas l'enfer. Lorsqu'on ne se frappait pas, on s'insultait, et lorsque l'on ne s'insultait pas, on dormait, c'était comme ça à la maison. Je n'ai jamais été malheureuse, nous n'étions ni très riches, ni très pauvres, vraiment pas à plaindre lorsque je vois la détresse de certaines mères qui recherchent désespérément à manger pour leurs enfants. Je n'ai jamais été trop mauvaise à l'école, en somme, j'ai eu une enfance plutôt coole.
Après, ça s'est un peu gâté, la vérité m'est arrivée en plaine dans la tronche. « Sale nègre ! », c'était ça la verité, j'étais sale et j'étais une nègre. Enfin, c'était leur vérité, moi, je ne me trouvais pas trop moche ni trop dégueulasse, je n'avais pas trop de boutons... Bon, j'avais quelques kilos en trop, mais ma mère m'a toujours dit que ça faisait mon charme, même si je trouve que ça me va mieux maintenant. Avec le temps, j'ai appris à ne plus écouter les insultes et à supporter les coups. J'ai aussi appris à aider les gens, il fallait bien comme personne ne le faisait. Bon, je dis pas que je le faisais à contre-coeur hein, moi j'aime ça aider les gens, ça me fait du bien, j'ai l'impression d'être utile. Mais j'aurais préféré ne pas le faire, j'aurais préféré ne pas avoir à le faire, c'est tout. Mais je me suis habitué à cette vie, elle me va d'ailleurs très bien, je ne suis pas la plus malchanceuse parmi tous les malchanceux.
Je suis aujourd'hui entrée à l'université, où nous sommes traités comme des troupeaux de bovins, il y a deux types de maisons là bas : L'abattoir et le pré. Le black marylin campus, pour les gens comme moi, les gens de couleurs (on y trouve quelques blancs parfois, les cons surtout), et le white house campus, là où il y a les gens « bien ». On écoute toute la journée un type chauve dire des conneries pour au final se retrouver dans des lits inconfortables dans des chambres à la propreté douteuse. C'est comme ça et on est bien obligé de s'y faire si on ne veut pas tomber en dépression.
Ma vie est des plus banales, des plus injustes parfois, mais j'en suis fière. Un jour, je me le suis promis, je serais aussi libre que toutes les autres personnes, car je ne suis pas inférieure à eux, car ma vie a autant de valeur que la leur. C'est pour ça qu'un jour, nous ferons entrer ça dans le crane de ces abrutis.